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Le projet LIFE Eau&Climat (LIFE19 GIC/FR/001259)
a reçu un financement du programme LIFE de l’Union européenne.
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MORDOR (MOdèle à Réservoirs de Détermination Objective du Ruissellement, GARÇON, 1996) est un modèle conceptuel développé par EDF à des fins d’hydrologie opérationnelle (crues extrêmes, prévisions, hydrologie générale, changement climatique). Il a, ces dernières années largement évolué, pour donner naissance à plusieurs versions : une version MORDOR-SD (« semi-distribué», (GARAVAGLIA et al., 2017), intégrant un découpage en bandes d’altitude; une version MORDOR-TS (« totalement spatialisé », ROUHIER et al., 2017), qui y ajoute un découpage en mailles hydrologiques, i.e. en sous-bassins de superficie choisie. Outre ses applications opérationnelles, MORDOR est également régulièrement utilisé dans le cadre de projets de recherche. Les deux versions MORDOR-SD et MORDOR-TS ont été mobilisées dans le cadre du projet Explore2 : MORDOR-SD sur les 611 points du réseau de référence constitué pour le diagnostic des modèle hydrologiques de surface et MORDOR-TS sur le bassin de la Loire en amont de Saumur.
Le modèle MORDOR est composé de plusieurs modules (Figure 1) :
• Le module production est composé de cinq réservoirs associés à une variable d’état, à savoir le stock de neige, le stock superficiel, le stock évaporant, le stock intermédiaire et le stock profond. Les forçages météorologiques (précipitation et température) sont répartis sur chaque bande d’altitude via des gradients orographiques. Les modules neige et pluie-débit du modèle permettent de calculer, sur chaque bande d’altitude, la part nivale de l’écoulement, et distinguent trois composantes d’écoulement (ruissellement de surface, écoulements de versant et débit de base).
• Sur chaque bande d’altitude, la fraction neigeuse des précipitations est estimée à partir de températures d’air à l’aide d’une équation de type sigmoïde (en forme de S), centrée autour d’une température d’équilibre fixée à 1°C et sur un intervalle de 4°C. Ainsi, en deçà de -1°C, la fraction neigeuse des précipitations atteint 100 %, contre 0 % au-delà de 3°C.
• La fonte nivale est décrite par un modèle de type degré-jours, enrichi pour améliorer la représentation des processus nivaux (fontes superficielle et basale, coefficients de fonte variables, inertie thermique du manteau neigeux et contenu en eau liquide).
• Le modèle de bilan hydrique permettant de calculer la reprise évaporative s’appuie sur : le calcul d’une évapotranspiration maximale, déduite de l’évapotranspiration potentielle de référence et d’un coefficient cultural, et le calcul d’une évapotranspiration réelle à partir d’un terme d’interception et d’une reprise dans les réservoirs superficiels et évaporant.
• La partition entre ruissellement de surface, écoulements de subsurface et débit de base est calculée à partir de l’état de saturation des réservoirs de surface et subsurface via des formulations non linéaires.
• La fonction de transfert, appliquée à l’ensemble des contributions, s’appuie sur une équation de l’onde diffusante à 2 paramètres (célérité et diffusion).
• Le modèle MORDOR dispose également d’un module glaciaire, activé sur les bandes d’altitude avec présence de glaciers. Ce module s’appuie sur : (i) un terme d’accumulation, constitué par la neige résiduelle de fin d’hiver, (ii) une lame de fonte calculée par approche degré-jour, (iii) une évolution dynamique de la superficie glaciaire en fonction des volumes de glace (relation surface/volume de type puissance).
Figure 1 : Schéma de principe du modèle MORDOR.
La version MORDOR-SD utilisée ici est décrite et évaluée en détail par (GARAVAGLIA et al., 2017). Dans sa formulation complète, MORDOR-SD dispose de 19 paramètres, qui peuvent être identifiés par calibration ou prescrits à partir de descripteurs hydro-physio-climatiques. Dans le cadre du projet Explore2, entre 9 et 12 paramètres ont été calibrés suivant la typologie des bassins (plaine versus montagne) (Tableau 1).
Les modèles ont été calés sur la période de disponibilité des données imposée (maximum 1976-2019) avec pour forçages les pluies et les températures journalières SAFRAN et les valeurs d’évapotranspiration de référence calculées pour le projet (formule de Penman-Monteith, avec rayonnement dérivé de la formule de Hargreaves). Le calage a été réalisé via un optimiseur de type algorithme génétique, en s’appuyant sur une fonction-objectif multi-critères intégrant plusieurs signatures hydrologiques (débits, régimes interannuels, débits classés, séquences d’étiage). S’ajoutent, à ces critères, un critère sur la surface enneigée simulée par MORDOR-SD (confrontation aux valeurs de Fractional Snow Cover (F SC) estimées par MODIS (NASA, https://modis.gsfc.nasa.gov/data/) pour les bassins de plaine et moyenne montagne). L’indice de végétation NDV I issu de MODIS est également considéré pour le paramétrage de la fonction de production. Chacun des paramètres laissé libre est ainsi plus ou moins contraint par tel ou tel autre critère numérique et c’est tout l’intérêt d’utiliser une fonction-objectif composite. A titre d’exemple, en plaine, les deux paramètres laissés libres pour le processus d’accumulation et de fonte de la neige (paramètres ef p et kf, Tableau 1) sont fortement contraints par le critère numérique associé aux données MODIS.
TABLEAU 1 : Principaux paramètres de MORDOR-SD.
Sur 27 des 611 bassins modélisés dans Explore2, situés en montagne quelques exceptions près, les cumuls de précipitations SAFRAN ont été ajustés par calage du paramètre cp pour corriger des biais de modélisation imputés à des problèmes de premier ordre d’estimation de la pluie spatiale. Les coefficients correctifs, quasiment tous supérieurs à 1 (jusqu’à 1.38, Figure 2), sont cohérents avec la tendance de SAFRAN à sous-estimer les précipitations en montagne.
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Figure 2 : Coefficient correctif des précipitations SAFRAN considéré par MORDOR-SD. | Figure 3 : Écart à la fraction neigeuse fournie par SAFRAN aux stations de référence par MORDOR-SD. |
Un autre ajustement mérite d’être mentionné : la température d’équilibre des phases solides et liquides des précipitations est ajustée lors du calage, via le paramètre ef p. Ce paramètre permet de compenser d’éventuels biais moyens sur les températures d’air estimées sur chaque bande d’altitude. Cela explique pourquoi les fractions de précipitations neigeuses simulées par MORDOR-SD peuvent être parfois assez différentes de celles estimées dans SAFRAN (Figure 3). Sur les bassins d’altitude, cet ajustement contribue à une meilleure modélisation des débits (meilleure modélisation du report saisonnier lié au stock de neige). À noter toutefois que sur certains bassins de plaine le processus de calage a parfois conduit à des valeurs anormalement élevées (de l’ordre de 10 % au lieu des 2 ou 3 % attendues). Après analyse, cette mauvaise identification est liée à un filtrage insuffisant des pixels ennuagés dans les données MODIS utilisées dans le processus de calage (sur les bassins de plaine le paramètre ef p n’est plus contrôlé par la bonne modélisation des débits mais par les informations de présence de neige au sol tirées des images satellites).
Sur 35 bassins versants, la surface de l’impluvium hydrologique a été ajustée par calage du paramètre csbv pour corriger des biais de modélisation imputés à des problèmes de premier ordre d’estimation de la surface hydrologique du bassin versant (cas notamment des bassins karstiques avec présence de pertes ou de résurgences). Tous ces bassins sont le lieu d’échanges souterrains avérés et documentés (karsts, échanges nappe-rivière). Le coefficient csbv varie entre 0.14 et 2.27 (Figure 4).
Figure 4 : Coefficient correctif de la superficie du bassin-versant considéré par MORDOR-SD.
Le module glaciaire a été utilisé sur sept bassins versants, sur lesquels la superficie glaciaire actuelle est significative. La formulation de ce module, qui couple l’évolution de masse glaciaire à celle de l’évolution de superficie, permet de tenir compte des effets du recul glaciaire observé et projeté dans nos simulations. Il s’agit de bassins versants d’altitude du bassin de l’Isère : le Doron de Bozel à la Perrière, l’Arc à Saussaz, la Séveraisse à Villar-Loubière, la Romanche à Mizoën, le Doron de Belleville à Bettaix, le Vénéon aux Etages et au Plan du Lac.
La modélisation de MORDOR-TS se base sur un découpage du bassin en mailles topographiques de surfaces homogènes. À chaque pas de temps, le module de production (calcul du bilan hydrologique) est appliqué indépendamment sur chacune des mailles du domaine, et le routage des écoulements intra-maille et inter-mailles est ensuite effectué (Figure 5).
Le modèle MORDOR-TS requiert une discrétisation du domaine en mailles hydrologiques. Ce maillage est fonction des sites où le débit doit être simulé et de l’échelle caractéristique de variabilité des forçages, des propriétés physiographiques et des processus hydrologiques. Pour cette application, la taille cible de maille choisie est de 100 km², compromis entre temps de calcul et raffinement du maillage. Cela mène à un découpage en 1102 mailles (Figure 6).
Le modèle a été calé sur la période 1987-2017 en utilisant les pluies et température de la réanalyse Safran et les valeurs d’évapotranspiration de reférence selon la formule de Penman-Monteith, le rayonnement étant dérivé de la formule de Hargreaves.
La méthodologie de calage est issue de (ROUHIER , 2018) de manière à limiter le nombre de paramètres à caler (Tableau 10). Il y a différents cas de figure :
• paramètres uniformes prescrits,
• paramètres issus de données spatialisées,
• paramètres calés selon un motif « amont-aval », c’est-à-dire que les paramètres sont d’abord calés en tête de bassin puis sur les bassins intermédiaires, selon les débits de contrôle disponibles.
Le calage est réalisé en utilisant l’optimiseur CaRamel (MONTEIL et al., 2020). Le coefficient cultural a un profil annuel défini par maille en se basant sur l’indice NDVI. Les précipitations par mailles sont corrigées d’un coefficient (entre 0.8 et 1.2) pour être cohérentes avec lames d’eau d’une réanalyse interne à EDF (SPAZM, GOTTARDI et al., 2012) pour lesquelles le modèle avait de meilleures performances.
Tableau 2 : Principaux paramètres de MORDOR-TS.
complément des débits, MORDOR calcule à chaque pas de temps de simulation les niveaux des réservoirs de production et les écoulements entre eux (Figure 1). Sont notamment calculés :
• L’évapotranspiration réelle,
• La fraction solide des précipitations,
• Les caractéristiques liées à l’enneigement (surface enneigée, équivalent en eau du manteau neigeux) et à la glace (surface et volume),
• Le contenu en eau du sol et sous-sol, avec une moindre représentativité car les niveaux calculés résultent du calage sur les débits observés et ne sont pas validés par des observations.
Les Figures 7 et 8 présentent les performances des deux variantes du modèle MORDOR sur les stations hydrométriques du réseau de référence. Des variantes du critère de Kling-Gupta (dont KGE pour MORDOR-TS dans une procédure de calage multi-objectif (ROUHIER , 2018)) ont été retenues pour optimiser les paramètres des deux modèles MORDOR. De ce fait, MORDOR-SD, comme MORDOR-TS, affichent des très bons scores de KGE√, compris entre 0.58 et 0.98, la médiane se situant à 0.94 pour MORDOR-SD, et compris entre 0.71 et 0.97 pour MORDOR-TS. Les meilleurs scores obtenus par MORDOR-TS s’expliquent par une application réduite à la Loire amont (112 stations de référence, ensemble plus hydrologiquement homogène que celui formé par les 611 stations de référence).
Les deux modèles sont de nature conceptuelle. Ils n’ont pas fait l’objet d’une procédure de validation croisée comme GRSD et SMASH dans le cadre de ce projet, parce qu’ils ne sont pas appliqués en dehors des points de référence (MORDOR-SD) ou du cadre de la Loire amont (MORDOR-TS). L’examen de la Figure 4 suggère une tendance généralisée à la sous-estimation des débits en étiage (médiane Q90 = 0.10%) par MORDOR-SD. L’inspection visuelle de la Figure 5 ne permet pas de dégager de spécificités régionales propres à MORDOR-TS. Cependant comme les autres modèles appliqués dans le projet Explore2, (MORDOR-TS) présente des meilleurs scores pour les grands bassins (KGE√ variant entre 0.90 et 0.95 pour les douze bassins de plus de 6000 km²) et des performances plus incertaines sur les petits bassins versants (KGE√ variant entre 0.70 et 0.94 pour les 47 bassins de moins de 200 km²).
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Figure 7 : Principaux constatée sur les débits simulés par MORDOR-TS. | Figure 8 : Performance constatée sur les débits simulés par MORDOR-TS. |
GARAVAGLIA , F. et al. (2017). « Impact of model structure on flow simulation and hydrological realism : from a lumped to a semi-distributed approach ». In : Hydrology and Earth System Sciences 21.8, p. 3937-3952. DOI : 10.5194/hess-21-3937-2017.
GARÇON , R. (1996). « Prévision opérationnelle des apports de la Durance à Serre-Ponçon à l’aide du modèle MORDOR, Bilan de l’année 1994–1995 ». In : La Houille Blanche 5, p. 71-–76. DOI : 10.1051/lhb/1996056.
GOTTARDI , F. et al. (2012). « Statistical reanalysis of precipitation fields based on ground network data and weather patterns : Application over French mountains ». In : Journal of Hydrology 432-433, p. 154-167.
DOI : https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2012.02.014.
MARDHEL , V. et A. GRAVIER (2006). Carte de vulnérabilité simplifiée des eaux souterraines du bassin Loire Bretagne. Rapp. tech. BRGM/RP-54553-FR, 116 p.
MONTEIL , C. et al. (2020). « Multi-objective calibration by combination of stochastic and gradient-like parameter generation rules – the caRamel algorithm ». In : Hydrology and Earth System Sciences 24.6, p. 3189- 3209. DOI : 10.5194/hess-24-3189-2020.
ROUHIER , L. (2018). Régionalisation d’un modèle hydrologique distribué pour la modélisation de bassins non jaugés. Application aux vallées de la Loire et de la Durance. Thèse de Doctorat. Sorbonne Université, École doctorale Géosciences, Ressources Naturelles et Environnement, 412 p.
ROUHIER , L. et al. (2017). « Impact of mesoscale spatial variability of climatic inputs and parameters on the hydrological response ». In : Journal of Hydrology 553, p. 13-25. DOI : 10.1016/j.jhydrol.2017.07.037.